
Si l’on en croit ce qu’on nous a toujours appris, cet article risque bien… de tomber à l’eau. Car l’eau, dit-on, est incolore, inodore, sans saveur — donc, en théorie, impossible à traduire en parfum.
Un paradoxe qui mérite qu’on s’y attarde. Car en réalité, l’eau est au cœur de notre sensorialité. Elle traverse nos souvenirs, qu’ils soient olfactifs, gustatifs, visuels, tactiles ou sonores. Elle convoque tous nos sens, et ne nous paraît jamais neutre. Avant d’être réduite à une formule chimique, avant d’être matière d’ingénierie, de science ou d’industrie, l’eau était porteuse de mythes, de récits, de croyances. La science l’a quantifiée, la technique canalisée, l’industrie exploitée… mais sa poésie, elle, est restée intacte. Il suffit de replonger dans nos souvenirs les plus simples pour le comprendre : l’eau, c’est un frisson sur la peau, un murmure apaisant ou une rumeur lointaine, la fraîcheur d’un matin d’été, le sel d’un été passé, un paysage familier ou totalement inconnu.
Sans oublier que l’eau joue aussi un rôle d’exhausteur de senteurs. Qui n’a jamais remarqué à quel point la nature s’éveille et libère ses parfums après la pluie ou sous la rosée du matin ? L’humidité capte, révèle et amplifie les odeurs, confirmant ainsi que l’eau a bien sa place en parfumerie.
Elle n’a peut-être pas d’odeur en soi, mais elle en porte mille à travers nous, et en révèle autant grâce à son pouvoir unique. Et cela, les parfumeurs l’ont bien compris
Les parfums aquatiques : une nouvelle ère olfactive
Les années 1990 ont vu naître une nouvelle vague olfactive avec les parfums aquatiques, notamment grâce à la calone — une molécule synthétique innovante capable de recréer la sensation de mer, d’iode et d’air salin.
Ces parfums se distinguent par leur fraîcheur inédite.
La Calone : molécule capable de recréer la sensation de mer.
Découverte dans les années 60, la calone est popularisée en 1992 avec L’Eau d’Issey d’Issey Miyake, créée par Jacques Cavallier-Belletrud. Ce parfum épuré, floral et aquatique, pur et limpide, a marqué son époque et continue d’explorer les multiples facettes de l’eau, donnant enfin une odeur à un élément qui en semblait dépourvu :
• L’eau de parfum, lumineuse, évoque une eau traversée de soleil.
• L’eau de parfum intense plonge dans les profondeurs océaniques.
• L’eau de toilette suggère l’eau sur la peau d’une femme, fraîche et délicate.
La maison Kenzo a elle aussi réinterprété l’eau avec ses parfums Aqua Kenzo. Ici, l’eau devient un véritable concept, un manifeste pour les « accros à l’eau » — ceux pour qui l’eau est une passion et un terrain de jeu. Comme le dit la marque : « Les terre-à-terre passeront leur chemin, les water addicts y verront un appel à pousser plus loin les sensations extraordinaires de l’eau. »
Aqua Kenzo pour elle : un floral aquatique frais et lumineux, avec mandarine juteuse, cassis vibrant, feuille de framboise croquante et pétales de magnolia.
Aqua Kenzo pour lui : une fragrance boisée et salée mêlant baies roses, feuille de noisette, santal et cèdre, pour un parfum contrasté et texturé.
L’eau fascine, autant comme élément naturel que sensoriel. Certains parfums osent lui prêter une odeur en traduisant son effet sur nos sens : fraîcheur, vivacité, transparence, fluidité… Une sensation aquatique à la fois intime et partagée, plurielle et universelle.
Pour ceux qui préfèrent une approche plus tangible, il existe les parfums marins. Ces créations s’inspirent de l’eau vécue dans des lieux bien réels et concrets — mer, océan, plage, rivages — et traduisent en langage olfactif des paysages précis.
Les parfums marins : l’évasion en flacon
Si l’odeur de l’eau est difficile à cerner, celle de la mer l’est beaucoup moins : on y reconnaît le sel, les algues, le vent marin, mais aussi les fleurs ou fruits exotiques qui rappellent le soleil et les vacances, sans oublier les notes boisées comme le pin ou le cèdre, typiques des littoraux.
De nombreux parfums s’inspirent de cette ambiance pour répondre à ce désir intemporel d’évasion. Certains racontent des lieux précis, d’autres laissent place à l’imaginaire. Mais tous ont un point commun : la mer, capable de faire naître en chacun des images très concrètes, des sensations familières ou rêvées.
Inspiré par l’île de Pantelleria, au large de la Sicile, ce classique masculin incarne la mer Méditerranée. Une puissante fraîcheur aquatique, où les notes marines innovantes s'associent à la mandarine verte naturelle, aux essences aromatiques et à un sillage minéral boisé.
Pure, ensoleillée et synonyme de bonheur, elle rappelle la brise de l'océan sous la chaleur du soleil alors que vos pieds s'enfoncent dans le sable chaud, avec le goût du sel et le parfum de la crème solaire. Les souvenirs olfactifs sont recréés avec du lait de coco, du musc, de la bergamote et des extraits de Ylang-Ylang.
Une note de citron à la fois rafraîchissante et éclatante s'adoucit pour laisser apparaître une note verte d'algue aquatique, tandis que le vétiver et les bois flottés de cèdre et de bouleau sèchent lentement dans le sable sous l'air salé de la mer.
Rem conjugue la fraîcheur iodée des embruns et la chaleur langoureuse d’un bouquet solaire qui s’épanouit sur fond d’ambre, de vanille et de muscs.
L'ambre gris, le néroli et l'absolue d'algue illustrent la Bretagne dans ce qu'elle a de plus authentique.
Parfum floral frais, Virgin Island Water de Creed est un délicieux mélange d'agrumes, de fleurs blanches sauvages et de doux jasmin.
L’eau comme source d’inspiration infinie
L’eau est loin d’avoir dit son dernier mot — d’autant que les parfumeurs disposent aujourd’hui de nouvelles molécules, comme la cascalone, dont l’odeur « transparente » permet d’évoquer l’eau douce.
Par ailleurs, au-delà des classiques accords marins, d’autres formes d’eau inspirent désormais la parfumerie. La piscine, par exemple, est encore peu exploitée, mais pleine de potentiel. Chlore, dalles chaudes, peau mouillée au soleil… Elle évoque un moment suspendu entre sport et farniente. Quelques parfums s’en sont emparés avec audace, comme Swimming Pool de Demeter — une senteur douce, aquatique, traversée d’ozone naturel et enveloppée dans une serviette en coton fraîchement lavée — ou Piscine de Miguel Matos, qui évoque le chlore sur une peau chaude, mêlé à la crème solaire et au réconfort d’une serviette de plage.
On pense aussi à l’eau des rivières, des lacs, des cascades. La collection Rivières de Cartier illustre cette approche avec ses eaux fraîches qui cherchent à capter la beauté et l’énergie naturelle de l’eau. Ou encore à la pluie, comme dans Un Jardin après la mousson de Hermès, où le gingembre, la cardamome, la coriandre, le poivre et le vétiver racontent la renaissance de la nature, après une averse tropicale au Kerala. Et même à la rosée, avec Après l’Ondée de Guerlain, qui évoque une promenade dans un sous-bois encore humide, où les parfums se déploient avec d’autant plus d’intensité, comme nous le soulignions en introduction.
Et si l’eau devenait aussi votre source d’inspiration ?
Toutes ces approches montrent à quel point l’imaginaire aquatique est vaste et inspirant. Et s’il devenait le point de départ de votre identité olfactive ? Écrivez-nous : nous serions ravis de vous accompagner dans ce plongeon sensoriel.